Voici le tag qu'un jeune touriste chinois a inscrit sur un monument célèbre égyptien à Louxor. En vacances avec Papa et Maman, il s'est dit qu'il fallait marquer l'histoire. Et c'est ainsi que l'inscription a été tracée sur le corps du Dieu Amon à l'extérieur du sanctuaire d'Alexandre le Grand, qui est lui même à l'intérieur du temple d'Amenhotep III.
Un autre touriste chinois a pris en photo le délit et l'a posté sur son compte microblog, ce qui a déclenché une avalanche de commentaires et de critiques.
Comment une telle ignominie a-t-elle pu se produire? Comment ce gamin chinois a-t-il été éduqué? Que faisait le guide? Où étaient les parents? etc. etc.
Moi, plus rien ne m'étonne. Car le responsable de la police cantonale valaisanne a lui aussi fait la une des journaux l'année passée. Il n'a pas inscrit son nom sur un site archéologique turc. ("Christian Varone en visite ici"). Non, il s'est dit qu'il valait mieux emporter un petit souvenir. Et le voilà lesté dans sa valise d'un petit caillou ramassé par terre. Malheureusement, au passage de la frontière, le caillou a été découvert parmi les chaussettes et les slips sales du commandant.
Après plusieurs analyses, il a été déclaré que la petite pierre était le fragment d'une colonne datant de l'époque romaine et qu'il constituait un vestige archéologique de valeur. Le commandant de la police valaisanne a été condamné en mars par le Tribunal d'Antalya à un an et 15 jours de prison mais la peine ne sera activée qu'en cas de récidive. Ouf... et pas d'inscription au casier judiciaire, ce qui aurait fait plutôt mauvaise façon pour le sir Varone.
On peut se demander si Ding Jinhao a eu vent de l'histoire de Christian Varone car la connerie humaine fait souvent le tour de la planète via les réseaux sociaux et les blogs tel que le mien.
Tout ceci pose en tous les cas de multiples questions. Le tourisme de masse, s'il est mal encadré, détruit peu à peu les sites historiques, les biens culturels et le patrimoine naturel. Il est clair que les pyramides ne vont pas s'effondrer tout de suite si des touristes ramassent des petits bouts à la base de la construction. Mais si on gratouille encore le nez du Sphinx, il va mourir asphyxié. Et ce ne sera pas seulement la faute de Obélix.
Les commentaires des internautes concernant la mauvaise blague de Ding accusent avec virulence les touristes chinois qui soit-disant ne savent pas se comporter lors de leurs séjours à l'étranger. Mais est-ce que tous les autres évoluent de manière adéquate lors de leurs escapades touristiques?
J'ai vu des Allemands plein de bière dégueuler dans tous les coins de la station de montagne dans laquelle je réside de temps en temps, arracher des pots de fleurs et taguer notre porte de garage. Sans doute que notre porte de garage n'est pas un vestige de l'époque gallo-romaine mais quand même, elle fait partie de notre patrimoine et en cela mérite donc le respect. J'ai observé des imbéciles heureux soulever des barrières et passer de l'autre côté afin d'aller contempler la mer de plus près alors que les Bretons tentent de réhabiliter certaines zones piétinées pendant des années par des touristes primaires. J'ai vu des cyclistes rouler comme des malades sur de petits sentiers d'alpage alors qu'au commencement du sentier figurait pourtant un beau panneau d'interdiction aux amoureux de la petite reine. J'ai visité des églises délestées de leurs trésors par des voleurs sans foi (c'est le cas de le dire). Et j'ai eu vent dernièrement d'autorités politiques qui rechignent à sauvegarder des biens immémoriaux sous des prétextes économiques et sociaux.
Les Chinois ne sont donc pas pires que les Allemands, les Valaisans et tous les autres. Malheureusement la connerie humaine n'a pas de frontière et traverse les temps. Amenhotep III a dû se retourner dans sa tombe et il n'est certainement pas le seul à effectuer des rotations de rage dans son tombeau en voyant les générations d'imbéciles qui lui succèdent.
Certains pays mettent en place de véritables politiques culturelles afin de faire prendre conscience aux populations que les vestiges du passé sont des présents inestimables qui méritent le respect. Le travail de l'Unesco est révélateur de ce travail en profondeur. Mais la notion de respect est bien difficile à inculquer à certaines personnes et le chemin est encore long. Pourtant, il n'est pas nécessaire de sonner les cloches du jeune Ding (Ding Dong). Ni de jeter la pierre à Varone car on a tous à balayer devant notre porte. Les biens culturels, les paysages, toutes ces choses qui façonnent notre humanité méritent qu'on se batte avec énergie pour leur sauvegarde, et cela tous les jours et dans toutes les situations. Ainsi, les crétins qui ont mis à sac la vieille ville de Berne dans la nuit de samedi à dimanche mériteraient qu'on leur foute des baffes.
Mais en même temps, MOI, Dédé, j'ai un furieux besoin de reconnaissance internationale. C'est décidé, demain je me prends un billet d'avion pour la Chine, un pot de peinture et je vais peindre une inscription sur la Grande Muraille, dans un petit coin, parmi les autres tags. J'espère que depuis l'espace, les petits hommes verts reconnaîtront mes hiéroglyphes.
"Dédé en visite ici".
Et puis de retour en Suisse, j'irai visiter l'exposition des mecs en terre cuite au musée d'histoire de Berne, "Qin, L'empereur éternel et ses guerriers de terre cuite". Et j'irai en chatouiller un sous les bras avec un gros couteau de cuisine pour voir s'il rigole. Cela fera moins de bruit que si je prends une tronçonneuse pour scier les bras d'une armure en métal lors d'une visite au Château de Chillon.
Non, ne leur jetez pas la première pierre, balayez devant votre porte.
© Dédé Mai 2013
© Dédé Mai 2013