samedi 26 juillet 2014

La nouvelle cuvette de toilettes de Vassili Chevtchenko

L'été 2014 poursuit son chemin et le commun des mortels dont je fais partie se fait prendre en otage par des nouvelles toutes plus tragiques les unes que les autres. Pour preuve:

Le concert de Patrick Bruel a dû être annulé à Sion car un violent orage s'est déchaîné sur la capitale valaisanne. Pour ceux qui pensent que le soleil règne toujours en maître en Valais, le constat est amère. Les jeunes filles et leurs mères n'auront pas eu le loisir de tomber en pâmoison devant le beau mâle intemporel à la voix rocailleuse. "Sion sous les étoiles" s'est transformé en "Sion sous le déluge" et c'est presque pire qu'un changement d'entraîneur du club de la ville. En tous les cas, cela a fait la une du Nouvelliste qui ne sait bientôt plus comment alimenter ses colonnes pendant l'été. Bientôt il n'y a aura que la page des annonces mortuaires et le compte-rendu des frasques de Christian Constantin qui feront vendre ledit journal.

Une jeune fille de 14 ans s'est fait enlevée et tuée par balle dans une petite bourgade tranquille du canton de Vaud. La population du lieu, médusée, se demande comment on a pu en arriver là. Elle se réveille le lendemain de la nouvelle avec une impression désagréable au fond de l'estomac. Comble de l'histoire: avant même que la police n'ait bouclé son enquête, le nom de l'assassin est livré en pâture sur Facebook par un membre de la famille de la jeune fille. Les commentaires tendancieux et les insultes ne tardent pas à affluer en réponse à cette information, sorte d'exutoire à une colère pourtant légitime. On ne peut s'empêcher de penser que Facebook n'est finalement que le miroir virtuel d'une société en mal de sensations fortes et avide de faits divers sordides.

L'organisation du Paléo festival a annoncé le désistement du tant attendu Gaëtan Roussel pour des raisons médicales. Et c'est encore Bastian Baker et ses mélodies sirupeuses pour minettes en chaleur qui a assuré le spectacle au pied levé. Patauger dans la gadoue et écouter les tubes du Bastian, c'est un incontournable de l'été suisse romand et cela permet à des tas d'écervelées de déclarer haut et fort sur les réseaux sociaux que "Bastian il est trop beau"!

Ne parlons même pas des morts par centaines dans la bande de Gaza et du discours naïf et pourtant résolument positif du Secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-Moon. Exhortant les belligérants à se réunir autour d'une table afin de privilégier le dialogue, il espère peut-être qu'une énième conférence internationale pour la paix pourra adoucir une politique israélienne pourtant résolument offensive depuis des lustres. Les Etats-Unis pendant ce temps continuent de fournir en armes la soldatesque israélienne, l'Union européenne crie au scandale et le monde regarde avec effarement les destructions massives et les brancards ensanglantés portés par des humanitaires totalement dépassés par l'ampleur des bombardements. On en oublierait presque qu'en Syrie, c'est toujours le même cirque et que le Moyen-Orient risque à court terme un embrasement total.

Mais parmi toutes ces histoires sordides de combats, de destructions inhumaines, de concerts annulés, de météo digne d'un mois de novembre, de boue sur la plaine de l'Asse, j'ai pu tout de même me réjouir d'une chose et non des moindres.

Vassili Chevtchenko a enfin pu changer la cuvette de ses toilettes défectueuse depuis des mois. En effet, depuis le début de la crise ukrainienne, il lui a été difficile de faire appel à son installateur sanitaire préféré, son ami depuis toujours, le bien nommé Fedor Ivahchenko. Car depuis des semaines, Fedor a troqué son bleu de travail et ses clés à molette pour patrouiller, pantalons militaires fièrement arborés et mitraillette au poing, afin de faire régner l'ordre militaire dans la province de Donetsk. Fedor est ukrainien mais son coeur et son âme sont entièrement dévoués à la Russie et à la gloire des tsars disparus. Avec ses goûts vestimentaires de chiotte (le comble pour un installateur sanitaire), il a décrété qu'il valait mieux pour lui se rallier à une équipe de dingues voulant restaurer la puissance russe que de rester croupir dans une activité finalement peu rentable dans ce pays miné par la crise.

Mais heureusement pour Vassili Chevtchenko, ce jeudi 17 juillet 2014, la cuvette tant attendue et un peu inespérée est tombée du ciel, telle une grâce céleste, et s'est enfoncée presque intacte dans son coin de champ de pommes de terre. Vassili, d'abord surpris puis émerveillé par tant de bonté divine, s'est précipité pour récupérer le précieux trophée parmi de multiples débris sans valeur à ses yeux et a déclaré à sa femme Irina qu'enfin le ciel avait entendu leurs prières éplorées. Sur plusieurs centaines de mètres, il a traîné l'objet sans aide de tiers car les seules personnes qu'il ait rencontrées durant ce dur labeur gisaient à terre, membres déchiquetés et donc bien incapables de lui apporter un quelconque renfort. Grâce à sa vaillante forme physique, Vassili a pu installer la cuvette dans la cahute au fond de son jardin et depuis lors, il peut déféquer de nouveau dans des conditions tout à fait respectables. Le vendredi 18 juillet, bien installé sur son trône, il s'est même dit que Fédor Ivahchenko allait se retrouver dans une sale situation financière s'il continuait à privilégier les battues inutiles, arme au poing, gesticulant devant les caméras de télévision étrangère en gonflant ses muscles au lieu de prendre soin de ses clients de toujours: "Quand même, espérer retourner au temps des tsars alors qu'on est simple installateur sanitaire, c'est vouloir vraiment se retrouver dans la m... ce qui serait un comble pour un représentant de ce corps de métier", a crié Vassili en serrant les fesses dans un rictus d'extase.

Les voisins de Vassili n'ont pas été en reste. Ils ont pu récupérer quelques bouts de tôle ondulée, pas trop ravagée par l'impact au sol, afin de refaire un bout de toiture de leurs fermes et ramasser quelques valises, au cas où ils auraient l'occasion de partir en voyage au lointain... en avion.

Abandonnons un instant notre ami Vassili  en train d'essuyer son arrière-train pour faire le point sur la situation du pays dans lequel il plante des patates depuis qu'il a fini sa scolarité obligatoire. La crise ukrainienne débute le 21 novembre 2013 à la suite d'une décision du gouvernement ukrainien de ne pas signer un accord d'association avec l'Union européenne. Des manifestations de grande ampleur éclatent alors dans tout le pays et provoquent le 22 février 2014 la fuite puis la destitution du président en place. Des pneus sont brûlés dans les rues de la capitale, les discours enflammés pleuvent sur les places, les rebelles s'arment et un nouveau gouvernement est mis en place. La Crimée se rebiffe ensuite, proclame son indépendance et vote pour son rattachement à la Russie, adhésion reconnue par le gouvernement russe. 

La communauté internationale est scandalisée mais ne peut enrayer l'escalade de la violence. Bubu, notre beau président, s'inquiète et déploie des efforts diplomatiques sans fin afin de faire entendre raison aux protagonistes de cette mascarade géopolitique. Mais il faudra l'épisode de la cuvette des toilettes récupérée par Vassili Chevtchenko, le treillis militaire, le sourire niais et les muscles bombés de Fedor Ivahchenko, les membres déchiquetés de civils étrangers éparpillés sur plusieurs dizaines de kilomètres pour que l'on commence à saisir l'ampleur de la désintégration politique de la région et la montée en puissance de fous avides de grandeur impériale.

Les téléspectateurs du monde entier regardent alors médusés et effarés la cérémonie burlesque durant laquelle des séparatistes pro-russes remettent les deux boîtes noires de l'avion accidenté aux inspecteurs malaisiens heureux de mettre enfin la main sur le précieux sésame. Pendant ce temps, le dieu Poutine réagit enfin du haut de sa magnificence en déclarant qu'il mettra tout en œuvre pour faire l'entière lumière sur cette affaire. On se surprend à vouloir encore une fois lui tirer une claque pour tant d'effronterie. Après Sochi, ce n'est pas encore fini.  Promis, on appellera demain Gérard pour qu'il se charge de mettre une beigne entre les deux yeux du président russe lorsqu'il sera complètement cuit à la vodka lors d'une partouze officielle réunissant les plus grosses élites de son fief mafieux.

Le leader des séparatistes pro-russes Alexandre Borodai se frotte les mains tel Ponce Pilate. Le monde entier a pu voir sa dégaine improbable (veste en jeans et chemise de bûcheron) lors de la remise des boîtes noires et comprendre l'influence de ce dangereux personnage sur des citoyens en mal de sensations fortes tel Fedor, l'ancien roi du sanitaire. Quand on sait que Borodai a travaillé à la préparation d'une thèse en philosophie sociale dont le thème portait sur les conflits ethniques et la théorie des élites et qu'il a été correspondant de guerre couvrant le conflit en Tchétchénie, on est en droit de se poser de sérieuses questions sur la suite de ce conflit. Et quand on se rappelle surtout que le 16 mai 2014, la troisième session du conseil suprême de la "république populaire de Donetsk" autoproclamée l'a élu à mains levées comme Premier ministre de cette entité, on ne peut que craindre pour l'avenir de toute la région gouvernée dès cet instant par un illuminé sans scrupule.

Le programme politique de Borodai pourrait se résumer ainsi: les petits soldats armés par la Russie ont pour mission de défendre la nouvelle république contre l'invasion de ceux qui ne sont pas pro-russes. En parallèle à ces actions militaires, les élites bien pensantes s'attellent à la construction expérimentale d'une "Autre Russie". Somme toute, il s'agit d'une savante combinaison d'activisme, de rigueur militaire mais aussi de banditisme mafieux, cocktail, qui, si on y réfléchit bien, est tout aussi explosif qu'un missile tiré par inadvertance sur un avion civil de la Malaysia Airlines.

Et pendant ce temps-là, alors que Vassili s'essuie soigneusement l'arrière-train dans sa petite cahute au fond du jardin, que Fedor arbore son sourire conquérant aux télévisions du monde entier, on se renvoie la balle dans un ballet diplomatique dépassé par tant de crises: la Syrie continue d'agoniser, les copains de la bande de Gaza de se faire démonter la tronche et la boue de s'amasser en gros paquets sur la plaine de l'Asse.

Dans ces circonstances tragiques, le vacancier de l'été 2014 peine à choisir son mode de transport qui le conduira à sa destination de rêve. Les voyages en avion finissent mal ces derniers mois. Le voyageur risque de se ramasser un missile dans les dents alors qu'il est tranquillement en train de dormir la tête appuyée contre le hublot. Ou alors il peut simplement disparaître des écrans radar et ne jamais arriver sur la belle plage paradisiaque choisie sur catalogue. La croisière en bateau n'est pas beaucoup plus sûre. Embarquer sur un beau paquebot grand luxe avec à sa tête un capitaine italien complètement marteau peut vous mener tout droit à batifoler avec les poissons pour l'éternité. Enfourcher une bicyclette n'est pas commode non plus, Pistolero l'a appris à ses dépends lors du Tour de France 2014.

Et pendant que le touriste cherche le moyen le plus sûr pour se déplacer pendant ses petites vacances, une autre partie de l'humanité se demande simplement si elle pourra traverser la rue sans se faire descendre par des tirs mal placés de ses ennemis. Les diplomates s'échauffent inutilement à tenter de trouver des solutions de paix pour des populations manipulées par des responsables politiques complètement barrés. 

Le seul qui s'en sort relativement bien dans toute cette crasse environnante, c'est Vassili Chevtchenko. Même si son pays est au bord du gouffre, tranquillement assis sur ses nouvelles toilettes, il savoure ce cadeau tombé du ciel. Washington accuse la Russie d'avoir fourni le fameux missile aux indépendantistes pro-russes, missile qui a provoqué la chute d'une cuvette de toilettes dans un champ de patates. Poutine s'insurge et le monde entier regarde avec tristesse le ballet des corbillards néerlandais ramenant les victimes au pays.

Il n'y a pas à dire, c'est vraiment un été de m... et la vision de Vassili le chanceux en train de fabriquer avec délectation un nouvel étron ne m'enlèvera pas de sitôt cette idée de la tête. 


© Dédé Juillet 2014